Interview du docteur Alain Corré, chirurgien membre de l’association « Entendre le monde »

La Foundation Unlimited a démarré un nouveau partenariat avec l’association « Entendre le monde ». Pour en savoir plus sur l’association, ses missions passées et futures, nous avons interviewé le docteur Alain Corré, chirurgien et membre de l’association depuis plus de 10 ans.

Comment l’association « Entendre le monde » a-t-elle été créée ?

L’association a été créée en 2006 par Bertrand Gardini. Il était avec Médecins du Monde sur une mission au Cambodge et s’était rendu compte que personne ne savait faire la chirurgie de l’oreille dans le pays.

Il a alors créé l’association et je l’ai rejoint quelques mois plus tard. L’association a donc débuté au Cambodge, et cela a duré pendant une dizaine d’années. Ensuite, on s’est différenciés. Bertrand Gardini a créé une mission à Madagascar et y est allé plusieurs fois. C’est d’ailleurs là que Newrest était intervenu afin de faciliter l’arrivée de notre matériel médical.

Quelle est la mission de l’association ?

Il y a une pathologie qui touche les enfants et les jeunes adultes : cela s’appelle le cholestéatome. C’est une tumeur bénigne de l’oreille qui détruit tout. Et comme l’oreille est située en-dessous du cerveau, il y a des complications infectieuses et cérébrales de ces cholestéatomes qui font toute la gravité de cette pathologie. Ce n’est absolument pas dépisté dans les pays pauvres et encore moins soignés puisque personne n’est formé pour opérer.

La mission de l’association est de dépister la surdité et les pathologies infectieuses de l’oreille qui peuvent être dangereuses, voire mortelles. On parle de missions médico-chirurgicales parce que nous effectuons un dépistage médical et une prise en charge médicale quand elle est nécessaire.

Nous recevons surtout des enfants ; notre objectif est aussi de dépister les problèmes infectieux chroniques de l’oreille qui peuvent nécessiter une chirurgie.

Pouvez-vous nous parlez de vos missions au Cambodge ?

Quand nous avons commencé au Cambodge, nous n’étions pas formés pour organiser une aide humanitaire dans des pays. Il fallait utiliser les moyens du bord, amener du matériel, former les gens sur place. D’ailleurs, c’était aussi l’un de nos objectifs : former des personnes pour soigner cette pathologie et pérenniser l’offre de soins sur place.

Nous avions repéré, en 2006, une jeune interne qu’on a suivie pendant tout son cursus, qu’on a formée et qui a réussi à se faire embaucher dans un hôpital multidisciplinaire géré par un Américain à Phnom Penh, qui propose des soins entièrement gratuits. Là, elle a créé une équipe de trois chirurgiennes, qu’on a continué à former. Jusqu’à il y a quelques années, c’était les trois seules à faire de la chirurgie de l’oreille au Cambodge. Dans l’hôpital américain, il y a des fellows (équivalent d’un chef de clinique en France) qui sont venus et qui ont continué la formation. Notre mission a donc continué après notre départ.

Quelles seront les prochaines missions de l’association « Entendre le monde » ?

Après le décès de Bertrand Gardini, nous souhaitions partir en mission ailleurs parce que c’était trop douloureux pour nous de retourner dans les endroits où nous avions travaillé avec lui. Il nous avait demandé de continuer à faire vivre l’association, et nous avons donc recherché un autre lieu pour poursuivre notre action.

Un collègue médecin présent au Togo nous a informé de la situation dans le pays, similaire à celle du Cambodge avant notre arrivée. En septembre 2024, nous y sommes allés pour rencontrer le chef de service d’ORL du CHU de Lomé. Le but de cette mission exploratoire était d’évaluer la faisabilité du projet en examinant l’infrastructure et le matériel présent et manquant.

Aujourd’hui, le projet est lancé, et nous partons à quatre pour une première mission de 9 jours le 21 mars. Nous rencontrerons directement des malades, mais il y aura certainement des variables d’adaptation. D’ailleurs, nous ramenons beaucoup de matériel chirurgical et d’anesthésie pour pouvoir gérer les imprévus. Nous perfectionnerons le processus au fur et à mesure.

Au-delà de l’aspect médical, il y a aussi la question des frais engagés qui peut s’avérer très complexe dans certains pays. Au Cambodge, l’association avait dû payer de sa poche pour permettre aux patients d’accéder aux soins. Au Togo, seuls les fonctionnaires ont droit à une prise en charge par la sécurité sociale, c’est-à-dire que 80 % des gens n’en bénéficient pas.

C’est un autre aspect du problème : comment peut-on toucher ces malades ? Au Cambodge, nous avions fait une annonce radiophonique. Nous avions alors été confrontés à une foule de patients. À Lomé, c’est le CHU qui va nous sélectionner les patients. Au cours de cette première mission, nous verrons si la sélection a été faite correctement ou s’il faudra de nouveau diffuser des annonces radiophoniques.

Où est basée l’association « Entendre le monde » ?

L’association a été créée à Toulouse, mais nos chirurgiens sont partout dans le monde. Pour cette mission au Togo, il y a un anesthésiste belge de Bruxelles, un anesthésiste toulousain et deux chirurgiens parisiens. Nous sommes sans frontières, nous accueillons toutes les bonnes volontés.

Un mot de conclusion ?

Quand nous sommes partis faire la mission exploratoire à Lomé, nous n’avons pas fait exprès, mais nous sommes partis le jour anniversaire de la mort de Bertrand Gardini. Ça nous a mis dans un état un peu bizarre. C’est pour lui que nous faisons cette mission.

Nous sommes très enthousiastes à l’idée de repartir sur quelque chose de nouveau, où tout est à faire. Nous repartons dans une nouvelle aventure !

Toutes les personnes de l’association ont tenu à ce que Lynda Hassan-Gardini devienne la présidente de « Entendre le monde ». Pour nous, c’était important et c’est super qu’elle ait accepté.

Propos recueillis le 17 mars 2025